SAMEDI 7 AVRIL À 16 H 30,

LA MAISON DE L’ORMEAU, 11220 COUSTOUGE

« Avec la sculpture, la littérature. Comment faut-il vivre ? »
Rencontre, conversation, débat, projection de films

Rencontre animée par Valérie Du Chéné, artiste plasticienne, et Dominique Bondu, responsable littéraire et artistique de Luciole

Entrée libre et gratuite.

Bernard Pagès né en 1940 à Cahors. Il vit et travaille dans l’arrière-pays niçois depuis 1965, où il réalise ses premières sculptures. Il participa à l’aventure Supports/Surfaces. Bernard Pagès arrive en 1959 à Paris. C’est à l’Atelier d’Art Sacré qu’il prend conscience de l’accessibilité de la sculpture. La visite de l’atelier de Brancusi, reconstituée et présentée au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, joue un rôle décisif dans son abandon de la peinture au profit de la sculpture.
La découverte des Nouveaux Réalistes lui confère dès 1967, une plus grande liberté de création. Le cinquième Festival des arts plastiques de la Côte d’Azur à Antibes marque sa première participation à une exposition collective. Il travaille alors intensément dans le sens d’un abandon du socle, vers une sculpture plus déliée, des arrangements plus radicalisés et plus rigoureux. Il fut un temps proche du mouvement Supports-Surfaces. Il réalise alors des assemblages de matériaux hétéroclites (branchages et rouleaux de grillage, tôles ondulées et fagots). Puis il utilise le bois qu’il taille, assemble, dispose au sol ou sur les murs. Les colonnes (1979-1985), d’inspiration brancusienne affirment la maturité de son œuvre, traversée par un double mouvement : diviser et occuper l’espace par des Totems. L’attention portée au matériau brut ou basique et le souci de sa mise en forme, s’expriment dans cette encre sur papier où le fil du bois, le papier et les traces de brosse, rappellent que le travail du sculpteur ne saurait ignorer matière première, support et geste. Il utilise des matériaux abandonnés pour réaliser ses sculptures, puis il assemble briques, bois, carrelage, pierre, gravier, tuyaux… Il classe ses ensembles par Inventaires, Nomenclatures, Énumérations. Au fil du temps, son travail s’oriente vers des œuvres de plus en plus colorées et baroques.
Depuis lors, il est considéré comme l’un des plus grands sculpteurs contemporains.

« S’affranchir de la sculpture » par Maryline Desbiolles, extrait du catalogue « Nous rêvons notre vie », coll. Pérégrines, éd. du Cercle d’Art, Paris, 2003. Réédition in Écrits pour voir, Éd. L’Atelier contemporain, 2016

« C’est une sculpture qui ne dénie pas le tour de force. Voilà qui est encore plus inconvenant que de vouloir faire quelque chose de beau. Les prouesses qui trouvent grâce à nos yeux ont au moins l’âge de la tour Eiffel. Le bon goût commanderait aujourd’hui de se fondre, de déplacer seulement d’un iota ce qui existe déjà. Pagès n’a que faire du goût. Il aime pousser le corps dans ses retranchements, le forcer, le fatiguer, les coureurs à pied l’émeuvent aux larmes et plus encore les trapézistes, non pas tant l’autorité du spectacle de la prouesse que la gracilité de ceux qui l’accomplissent, leur vulnérabilité suspendue dans le vide, leur fragilité outrepassée. Le tour de force n’implique pas comme une évidence l’autorité du spectacle encore moins le tonitruant. Les sculptures de Pagès fuient l’autorité comme la peste, l’autorité qu’elles pourraient avoir en premier lieu. Les plus grandes d’entre elles n’imposent pas, elles n’imposent pas leur présence envahissante, grandiose. Elles ne sont pas grandioses. Elles ne rivalisent pas avec les dieux mais elles leur tiennent tête en esquivant habilement leurs foudres qui pétrifient. Le tour de force consiste aussi à garder leur ténuité même lorsqu’elles regardent de haut. Elles ont l’air de se frayer un passage dans le vide, elles n’essaient pas de le combler. Elles aussi, elles ont peur du vide mais elles n’ont pas la prétention de le colmater, elles pactisent avec lui en s’immisçant, en le trouant le plus délicatement possible. Proue de béton vert tendre qui fend la mer invisible, creux dorés d’une colonne penchée encore sur la nuit, crêtes doucement hérissées, déroulements de métal, branche d’os qui, par-dessus le marché, fait la nique au vide dont la Déjetée est gonflée.
 Les matériaux sont contraints, ils sont contraints de montrer qu’ils sont en vie, le travail de Pagès nous révèle que les matériaux cachent leur jeu d’atomes, d’électrons, cette agitation qui nous est invisibles. Ces sculptures ont bien plus horreur de ce qui est caché que du vide dont il arrive qu’elles s’emparent. »

Expositions personnelles de Bernard Pagès (sélection) :
2015 : Papiers. Musée Picaso, Antibes
2014 : Acrobate et autres sculptures. Le Château Sainte-Roseline, Les-Arcs-sur-Argens. Musée Chagall, Nice
2012 : Tout au bout, Le carré Sainte Anne, Montpellier
2011 : Bernard Pagès, Mamac, Nice ; Galerie Catherine Issert, Saint Paul de Vence2010 FIAC, Jardin des Tuileries, Galerie Bernard Ceysson, Luxembourg
2008 : galerie Hambursin Boisanté, Montpellier
2006 : Musée d´Art Moderne et d`Art Contemporain Nice, Nice
2003 : Espace Ecureuil, Œuvres récentes, Toulouse Maison des arts, Dérives de colonne, Malakoff Chapelle des Ursulines, Travaux récents, Quimperlé
1992 : Museum of Art, Sculptures 1985-1991, Herzliya (Israël), Musée Denys-Puech, Dessins et sculptures, Rodez
1991 : Atelier 340, Œuvres de 1969 à 1990, Bruxelles, Stadtgaleri, Œuvres de 1969 à 1990, Saarbrücken (Allemagne)

Maryline Desbiolles a écrit une vingtaine de romans, de La Seiche (Seuil, 1998) et Anchise (Seuil, 1999, Prix Femina) au Beau temps (Seuil, 2015). Rupture (2018) est son dernier roman paru à ce jour.
Elle a aussi beaucoup écrit sur les peintres et les sculpteurs, Chaissac, Braque, Pagès (Nous rêvons notre vie, éditions du Cercle d’art, 2003) ou Vallotton (Vallotton est inadmissible, Seuil, 2013). Ces textes ont été récemment réunis sous le titre Écrits pour voir (L’Atelier contemporain, 2016). En 2017, elle publie Avec Rodin aux Éditions Fayard.

À propos d’Avec Rodin :
Comment vient-on à Rodin ? Peut-être en tâchant de laisser tomber ce qu’on croyait connaître. En tâchant de laisser tomber ses croyances. En fréquentant Auguste Rodin, et, avec lui, les écrivains et les artistes qui l’ont aimé, en s’immisçant dans cet immense xixe siècle qu’il projette dans le xxe. En y tissant un récit de sa vie. Mais aussi en fréquentant ses figures, en entrant dans la danse des corps inventés par lui. En fréquentant la sculpture qu’il a bouleversée. En prenant exemple sur lui. En accueillant le réel et ses surprises. En étant entièrement solidaire de sa manière de procéder. C’est-à-dire, somme toute, en faisant le pari d’être un peu plus libre.
Sur la couverture du RODIN, est écrit en petit – très discrètement – : « avec » : Avec Rodin.
Et tout est dans ce mot qui s’est voulu humble. Avec : c’est bien d’un livre qui nous invite à une compagnie, à un cheminement commun, qu’il s’agit.
Le lecteur se trouve associé à un compagnonnage avec l’artiste, avec la création sous toutes ses formes : la sculpture, au premier chef, mais aussi la peinture, l’écriture, la poésie…
On est loin du monument dressé, de la commémoration, de la célébration, d’une cérémonie dont le rituel nous obligerait à la distance. Bien au contraire, on entre dans une intimité. Discrète. Durant ces presque deux cents pages, on se retrouve à vivre avec Rodin, « le sculpteur qui partage ma vie », avec le poète, Rilke, avec l’écrivain dont on lit les lignes et qui « prend le train avec Rodin »…
A l’issue de la lecture, on comprend que l’on a fait un pas de côté ; on a partagé un monde autre que celui de notre quotidien. On a emprunté des chemins de traverse et on a musardé, parce que « la sculpture est lente », elle exige de prendre son temps – ce que l’on fait trop rarement de nos jours. On a pris le temps d’explorer le monde, les corps, le ressort du désir, de la création. On plonge la main dans le « nid des choses »…On prend le métro – même le métro – et l’on regarde les corps, les visages. On remarque un inconnu, on le regarde et apparaît tout un paysage sculpté. Et puis on prend le car le long de la Loire et de l’Indre, pour aller au château de l’Islette et l’on se surprend à aimer le car que l’on n’a pas pris depuis si longtemps, et qui permet le regard prolongé sur le paysage, sur la forêt et les arbres. Et au cours de ce vagabondage, et en dépit des infortunes de l’existence, revient le désir fort de travailler : « Rodin croit au travail il croit énormément au travail ». C’est peut-être là, à mes yeux, la plus belle et la plus vraie leçon du matérialisme – et de la sculpture en ce qu’elle requiert travail et matière – : rien n’est possible sans faire effort. « Travailler c’est vivre sans mourir. » Et quand on ne travaille pas, que l’on est en compagnie, on peut alors partager des Banquets », – mais des banquets « qui célèbrent l’abolition des divisions lors de repas partagés en plein air dans des lieux populaires – et surtout pas des « banquets officiels » qui ne sont que « des fêtes plus que normées ». C’est ainsi, mais on voudrait l’oublier, on voudrait croire à la grâce, s’illusionner. Les motifs de mélancolie ne manquent pas, et pourtant, il ne faut surtout pas être « homme à se laisser abattre ». On comprend « que la défaite est partie prenante de la sculpture », et – peut-on élargir ? – de toute création de possibles. Alors, au fil des pages, l’énergie vient. Et le désir aussi, qui est « plus grand que soi » et qui nous rend vivant. Mais dans le même temps, l’on a appris à ne pas voir tout projet selon la ligne droite, conformément à la flèche du temps. « On ne décide pas du temps que cela prendra, peut-être pas même de la tournure, une œuvre [la vie vécue ] n’est pas une décision. » On a appris à ne plus vouloir maîtriser le monde, à se faire discret, humble, à « ne pas se faire remarquer », à « parier sur le réel et ses surprise. » Ainsi, en lisant Avec RODIN, on n’a pas été convié à « faire une étude » de la sculpture, d’un grand artiste, non : on s’est posé la question « comment faut-il vivre ? ».
À la dernière page du Rodin, on reste silencieux : « les mots manquent » – Rodin « n’a pas l’art de la repartie, du trait qui cingle et divise, du fin mot, du dernier mot ». Et comme toi, je me dis que j’ai « horreur d’avoir le dernier mot, le mot de la fin, le mot qui scelle et empêche les repousses, les rejets, les mauvaises herbes et les surgeons. »