SAMEDI 21 SEPTEMBRE 17 H, À TRÈBES (11800), Bibliothèque publique La Maison des mots, place de la République, au centre ville : RENCONTRE AVEC L’ÉCRIVAIN FRANCK MAGLOIRE, autour de ses livres : Opéra, roman, Éd. L’Ire des marges, 2023) ; Les Hospitaliers, récit co-écrit avec Caroline Girard (Éd. L’Ire des marges, 2023) ; Ouvrières, roman (Le Seuil, Coll. Points poche, 2012).

 L’AUTEUR INVITÉ : FRANCK MAGLOIRE
Depuis son premier livre très remarqué, Ouvrière, publié en 2002, Franck Magloire poursuit une œuvre littéraire exigeante et engagée.
Son travail minutieux sur la langue dépeint avec une force poétique le monde contemporain et tente d’instituer ce fragile équilibre entre l’individu et le collectif, entre la petite et la grande histoire.
Tous ses ouvrages accordent aux gens ordinaires une place particulière et une attention pétrie d’humanité. Loin des modes et des polarisations actuelles, la connaissance est selon lui la seule morale du roman, et la langue un rempart indispensable contre la barbarie et toute forme outrancière de simplification.
Après avoir vécu en Occitanie, en Bretagne puis en Normandie, il vit désormais en Écosse.

Bibliographie
Ouvrière, récit, éditions de l’Aube 2002, Points Seuil 2012. (Prix de la ville de Caen 2003 ; 75 représentations théâtrales en France et en Suisse).
Sans visages, essai collectif, sous la dir. d’Arlette Farge, éditions Bayard, 2004
En contrebas, roman, éditions de l’Aube, 2007.
– Le Premier qui tombe, création théâtrale, Maison des métallos, Paris, 2008.
– Présents, roman, éditions du Seuil, janvier 2012.
– Destination, roman, éditions Le Soupirail, 2017.
– Corps-texte, esthétique de la lecture à voix haute, éditions le Soupirail, mai 2019
– Horizon asphalte, roman, éditions Le Soupirail, mars 2022
– Les Hospitaliers, récit, éditions l’Ire des Marges, janvier 2023
– L’hôpital à vif, fiction en cinq épisodes, France Culture, 25-29 septembre 2023
– Opéra, roman, éditions l’Ire des Marges, novembre 2023

À PROPOS D’OPÉRA (L’IRE DES MARGES 2023) :
Le roman d’un petit monde, Opéra dépeint, à l’échelle d’un quartier, la société et les enjeux de notre modernité.
Ce roman met en scène seize personnages, d’origines et de cultures diverses, que le hasard amène à se croiser, parfois se rencontrer, dans le quartier de l’Opéra, qu’ils y vivent, y travaillent, s’y promènent ou s’y perdent.
Seize incarnations de l’existence urbaine contemporaine parmi lesquelles Rachel, vieille dame juive, qui se souvient des heures sombres de son enfance sous l’Occupation et d’une rafle que l’histoire a occultée ; un trader qui fait son jogging à l’aube, parcourant la ville dans une course effrénée, à l’image de l’emballement financier auquel il se voue chaque jour.
Eva, brillante étudiante en sciences économiques le jour, escort-girl la nuit ; J-P., éboueur qui collectionne les correspondances dénichées dans les poubelles.
Mais aussi Paul, conducteur de métro hanté par le souvenir d’un géant aux cheveux roux, Mehdi, jeune caïd vivant son homosexualité loin de sa banlieue, W., directeur du temple des nouvelles technologies aux prises avec une manifestation, Carole qui tente de donner un sens à son existence en participant à des maraudes.
Au fil des chapitres, ces personnages se retrouvent intimement liés les uns aux autres à la faveur d’une émotion, d’une évocation, d’une action ou d’une tranche de vie.
Ce ballet des vies et des relations tissées par le hasard met en lumière nos solitudes communes et nos possibles partages au cœur d’un triptyque moderne :
« l’Opéra massif et silencieux, après que la musique s’est tue et les ballerines ont fini de danser ; l’Apple store resté éclairé à cette heure tardive de la nuit, projetant en toute indifférence son aura lumineuse jusque sur le trottoir (…) ; la banque insouciante et intouchable en haut de laquelle les marchés ne dorment pas, ne pensent pas, soldent les comptes en effaçant les rêves et les hommes  ».
Roman à la composition précise, Opéra constitue une allégorie sensible de notre humanité soumise à la mondialisation, aux défis économiques et écologiques, aux enjeux actuels de civilisation, mais aussi éprise de ce « dur désir de durer », de liberté et de partage.

Extrait :
« Après le départ des policiers, le magasin Apple rouvre ses portes sous la surveillance inquiète des vigiles postés aux entrées. Les clients affluent de nouveau ; rien ne s’est passé. La grille d’aération du métro sur laquelle il se tient debout a beau lui envoyer de l’air chaud, Jojo a déjà le bout des doigts bleu. Mais peu importe la morsure, les premiers froids sont de bon augure pour les affaires. Les passants donnent plus ces jours-là, à condition toutefois qu’ils restent bien au sec car si le ciel devient menaçant, un téléphone, un sac, une mallette dans une main et le parapluie dans l’autre les obligent à trop de contorsions qui leur font perdre un temps précieux. Les visages s’assombrissent, et ils en sont à économiser leurs gestes, à réfréner cet élan naturel du cœur, qui varie aussi selon le jour de la semaine, les périodes de vacances, l’humeur et les saisons. L’été indifférent est parfois pire que l’hiver meurtrier.

Jojo s’assoit sur la grille, tend sa main et, de l’autre, continue de tenir son téléphone mais à distance de son oreille cette fois. L’appel peut se prolonger plusieurs dizaines de minutes. L’annonce préenregistrée tourne en boucle, la musique qui l’accompagne se répète. Un air italien, Vivaldi, aurait tout de suite confirmé son pote le Viking qui s’y connaissait en musiques anciennes mais il n’est plus là pour préciser à Jojo de quelle saison il s’agit. Jojo choisit le printemps, il aime les commencements Compte tenu du nombre important d’appels Il a déjà essayé d’appeler à plusieurs reprises, tôt ce matin. Il est près de seize heures maintenant, et c’est trop tard pour aujourd’hui, peut-être demain De bien vouloir renouveler votre appel Après tout, il peut s’installer ici pour cette nuit, profiter des grands magasins alentour pour récupérer des cartons, les planquer entre deux séparateurs de voie du chantier de l’Opéra côté est, en espérant qu’il ne pleuve pas ; il n’a plus le choix de toute façon, depuis qu’ils ont démonté l’une des dernières cabines téléphoniques dans laquelle il avait l’habitude d’entreposer tout son barda Pour ne pas prolonger votre attente, nous vous remercions En attendant, il fera un tour, regardera les vitrines décorées, s’achètera deux ou trois litrons – ce sera toujours plus économique et revigorant que de prendre un vin chaud au comptoir – sollicitera au passage les touristes qui arrivent par bus entiers et les clients qui font du repérage pour leurs futurs achats de Noël Toutes nos lignes sont momentanément occupées Au fond, il répugne à prendre une place en foyer, à se retrouver parmi quatre cents bonshommes entassés sur trois étages dans de vastes dortoirs. Ça ronfle, suinte, éructe de tous côtés. Certains parlent, crient, geignent, pleurnichent dans leur sommeil agité Habida cuenta del volumen elevado de llamadas Ils ânonnent une langue inquiétante et incompréhensible Yсі наші телефонні лінії тимчасово зайняті Une langue de la nuit, perdue aux confins des ombres guerrières, sans visage et sans voix, hantée par la crainte de se faire voler ou de prendre un coup de lame. Dès l’entrée pourtant, on vous fait passer dans un sas sécurisé, on vous palpe sans ménagement de la tête aux pieds, les mains parfois hésitantes, s’arrêtant, renâclant presque, de peur d’être contaminées d’une façon ou d’une autre elles aussi ; le seul moment pendant lequel on daigne vous toucher Please call us back later, thank you Tôt le matin, on vous demande de quitter les lieux au plus vite, vous traversez alors le dortoir au sol froid jonché de draps jetables, entortillés sur eux-mêmes, roulés en boule ou étalés sans pudeur, la plupart souillés par les sécrétions nocturnes et la crasse accumulée au fil des jours passés dehors, vous vous contentez de les éviter comme on évite de fouler un parterre de fleurs au détour d’une allée dans un parc ou de passer près d’une tombe fraîchement creusée dans un cimetière, tout dépend à ce moment-là de votre humeur et de la façon dont vous vous êtes réveillé en vue d’affronter un nouveau jour Compte tenu du nombre important d’appels, toutes nos lignes sont momentanément occupées. Pour ne pas prolonger votre attente, nous vous remercions de bien vouloir renouveler votre appel Il coupe son téléphone et le fourre dans l’une des rares poches intactes de sa grosse doudoune élimée. Le vieil appareil montre des signes de fatigue, il devra bientôt s’en débarrasser. Il n’en acquerra pas d’autre. De toute façon, un téléphone ne lui sert plus qu’à contacter le 115, certaines associations et les institutions sociales qui lui fournissent une aide circonstanciée, à coup de numéros d’immatriculation et de formulaires. Il ne reçoit plus aucun coup de fil, surtout depuis que le Viking a tiré sa révérence. »

La presse en fait l’éloge :
Opéra roman (éditions l’Ire des Marges, novembre 2023)
Les rêves comme les hommes, le ballet réenchanté dans les gravités du devoir de parole.
La compassion comme le plan d’un quartier qui se révèle en univers. L’heure théologale et annonciatrice d’un
Opéra de Franck Magloire comme une mappemonde entre nos mains.
Le sacre de l’écrit.
Babelio, 07/11/2023

 

À PROPOS DE LES HOSPITALIERS récit avec Caroline Girard (éditions l’Ire des Marges, janvier 2023)
Ce récit choral et intimiste s’inscrit dans une actualité brûlante et met en voix la réalité des personnels qui œuvrent au sein de l’hôpital : un quotidien caractérisé par la difficulté de pallier le manque de moyens matériels et humains.
Une situation mise en lumière et exacerbée par la pandémie de covid.

Une littérature de terrain, entre documentaire et fiction :
Depuis quinze ans, Caroline Girard intervient dans plusieurs hôpitaux parisiens avec La Liseuse, compagnie de lecture à voix haute qu’elle dirige. À la demande d’une soignante, elle a recueilli la parole de nombreux personnels hospitaliers ébranlés physiquement et psychiquement par cette crise larvée et cette pandémie sans précédent. Elle s’est associée à l’écrivain Franck Magloire pour qu’ensemble ils donnent à entendre ces voix dans toute leur diversité et leur complexité. De ce geste à la fois littéraire et politique, est née l’écriture de ce livre puis sa publication. Une nécessité impérieuse de réveiller les consciences, tant individuelles que collectives, sur l’état actuel de l’hôpital.
L’hôpital ne se réduit pas au monde des soignantes et soignants ; il incorpore aussi des métiers méconnus et des travailleurs de l’ombre : logisticien, agent de traitement des déchets, agente de la chambre mortuaire…
C’est à partir de 35 témoignages, de 70h d’enregistrement audio, et sans jamais trahir la parole recueillie que les deux auteurs ont composé cette fresque polyphonique, réalisant un travail de réécriture, de montage et d’assemblage pour aboutir à un récit sensible, fluide et littéraire. Récit qui se présente comme une mosaïque de voix, portées par un flux unique évoquant la justesse du chœur antique.
Variant les rythmes et les tonalités, les auteurs sont parvenus à restituer toute une palette d’émotions et de sentiments, le rythme haletant et oppressant des journées de travail qui n’en finissent pas, l’urgence des gestes à réaliser qui ne laisse plus de place à la réflexion, la crainte de ne pouvoir faire face, mais aussi et surtout la passion de soigner. L’évocation de tranches de vie plus intimes offre au récit des respirations inattendues. En outre, il n’exclut ni l’humour, ni le rocambolesque.
Le lecteur découvre des portraits sensibles et vivants de femmes et d’hommes mus par un engagement sans faille.
Les gens ont toujours l’impression que l’hôpital tient, mais en fait l’hôpital ne tient pas. Qu’est-ce qui faisait qu’avant on criait déjà ? s’interroge un soignant.
L’hôpital public est depuis trop longtemps en sursis, sa mission ne perdure qu’au prix du sacrifice de ses agentes et agents.
Les hospitaliers est un hommage à leur combat quotidien.

Extrait :
« Soigner est une passion, un moteur qui fonctionne tout seul, nul besoin d’argent là-dessus. La plupart des soignants se font payer avec un lance-pierre, sans reconnaissance, sans valorisation, avec la seule satisfaction d’apaiser, de solutionner, de partager le poids de la vie, d’offrir aux gens un certain niveau de compétences et de soins. Mais pour supporter la pression, il faut à un moment donné baisser la charge.
On fait le sacrifice de ne plus voir ses parents, sa famille, ses amis, tous ceux qu’on aime. On a un très gros service, assez lourd, assez violent ; sur la même garde on s’habille et se déshabille vingt-cinq fois, on intube trois malades. Les lendemains de garde, on ne sait plus trop comment on s’appelle, on est marqués, usés, littéralement séchés.
Une maladie médiatique a stoppé le monde entier. Les gens ont toujours l’impression que l’hôpital tient, mais en fait l’hôpital ne tient pas. Qu’est-ce qui faisait qu’avant on criait déjà ? »

La presse en fait l’éloge :
Les Hospitaliers récit (éditions l’Ire des Marges, janvier 2023)
Les hospitaliers est un texte fort, important, constitué de nombreuses voix qui disent de l’intérieur le corps vivant, le corps souffrant, le corps luttant de l’hôpital traversé par l’épreuve d’une épidémie qui en a révélé la force mais aussi les fragilités […] Ce texte se lit d’un souffle, l’on en sort secoué. On ne peut cesser d’entendre les voix… Les paroles de ceux et celles qui soignent, soulagent, réconfortent, restaurent de l’humain résonnent comme autant d’éloges à la vie.
Juliette Keating 27 Jan 2023, revue Délibéré.

À PROPOS D’OUVRIÈRE, récit, éditions de l’Aube 2002, Points Seuil 2012. (Prix de la ville de Caen 2003 ; 75 représentations théâtrales en France et en Suisse)
La vie de Nicole s’est décidée en une heure : le temps d’aller demander une place à l’usine. Elle y travaillera pendant trente ans, pour offrir à ses enfants une vie décente. Chaque matin, alors que tous dorment encore, Nicole se rend dans la zone industrielle de l’Espérance. À six heures précises, elle est une ouvrière. Elle est surtout une femme digne, dont le destin est lié à celui de Moulinex.
Né en 1971, Franck Magloire livre ici le récit de la vie de sa mère, ouvrière chez Moulinex jusqu’à la fermeture de l’usine.

Extrait :
« Trente années d’une vie passée à l’usine. L’usine vit en moi et je vis en elle. C’est l’histoire de ma vie, de nos vies ouvrières comme des bouts d’usine démantelée que nous trimballons à même la peau. Le livre raconte cette brèche dans le silence. Nous ne sommes plus reléguées à la marge, les mots nous appartiennent en pleine page, et ils disent réellement ce que nous sommes. » Nicole Magloire, ouvrière chez Moulinex, 1972-2002

La presse en fait l’éloge :

Ouvrière, roman, réédition Le Seuil Points poche, 2012.
« Il y a dans ce beau livre un ton très particulier, dû à une écriture dont le rythme épouse les hésitations, les silences, les nouveaux départs de celle qui peine à se souvenir »
Michelle Perrot, Libération, janvier 2003

« Les mots de l’ouvrière s’emmêlent à ceux de l’écrivain (il parle d’«heures térébrantes») dans un échange aimant entre la mère partie trop tôt de l’école et le fils, lecteur fervent de James Joyce et de William Faulkner. Car il est d’abord question de langage reconquis dans ce livre qui commence par Comment dire ? »
Frédérique Fanchette, Libération, 17 mars 2004

 « Pour évoquer cette suite d’événements petits et grands, le jeune écrivain Franck Magloire utilise toute une gamme de couleurs, passant de la caricature à la confidence, de la satire à l’élégie, du réalisme à l’atmosphère de rêve »
Françoise Barthélémy, le Monde Diplomatique, juillet 2003