RENCONTRE avec l’écrivain EMMANUEL RUBEN
samedi 15 juin à 17 h
M.J.C. de CARCASSONNE (Centre ville, 91 rue Aimé Ramond)
« Qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui ? Géographie, histoire et littérature »
Lecture, conversation autour de son dernier récit Sur la route du Danube –
Une odyssée cycliste dans une Europe à la dérive (Rivages, 2010)
Entrée libre et gratuite, apéritifs de clôture
Emmanuel Ruben est géographe, écrivain et dessinateur. Il est né en 1980 à Lyon. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, reçu major à l’agrégation de géographie (2004), il enseigne l’histoire et la géographie à l’étranger où il passe plusieurs années (Italie, États-Unis,
Turquie, Lettonie, Ukraine, Serbie), puis en banlieue parisienne. En disponibilité de l’Éducation Nationale, il est actuellement directeur de la Maison Julien Gracq à Saint-Florent-le-Viel.
Il publie son premier roman, Halte à Yalta, en août 2010.
Parallèlement à la publication de ses livres, il a signé depuis 2013 une chronique mensuelle sur le site Sens Public et collaboré à différentes revues littéraires : Ravages, Edwarda, Possession immédiate, Remue.net. Par ailleurs, il a exposé ses dessins et ses aquarelles dans des galeries et des lieux publics. Enfin, il tient à jour un site Internet personnel (L’araignée givrée, www.emmanuelruben.com) où il dévoile de nombreux dessins et des textes inédits.
Ses thèmes de prédilection (la frontière, la mémoire, l’histoire, la géographie, l’utopie, le voyage impossible, l’Europe) se retrouvent dans ses romans : La Ligne des glaces (Rivages, 2014, Sélection Prix Goncourt 2014), Sous les serpents du ciel (Rivages, 2017), Sur la route du Danube (Rivages, 2019) ; également dans ses derniers récits : Dans les ruines de la carte (éd. Vampire actif, 2011), Jérusalem terrestre (Inculte, 2015), Terminus Schengen (avec des photographies de l’auteur, éd. Le Réalgar, 2018) et Le Cœur de l’Europe (La Contre Allée, 2018).
Sur la route du Danube (Rivages, 2019)
« À l’été 2016, Emmanuel Ruben entreprend avec un ami une traversée de l’Europe à vélo. En quarante-huit jours, ils remonteront le cours du Danube depuis le delta jusqu’aux sources et parcourront 4 000 km, entre Odessa et Strasbourg. Ce livre-fleuve est né de cette odyssée à travers les steppes ukrainiennes, les vestiges de la Roumanie de Ceauşescu, les nuits de bivouac sur les rives bulgares, les défilés serbes des Portes de Fer, les frontières hongroises hérissées de barbelés… En choisissant de suivre le fleuve à contre-courant, dans le sens des migrations, c’est l’histoire complexe d’une Europe qui se referme que les deux amis traversent. Mais, dans les entrelacs des civilisations déchues et des peuples des confins, affleurent les portraits poignants des hommes et des femmes croisés en route, le tableau vivant d’une Europe contemporaine.
Dans ce récit d’arpentage, Emmanuel Ruben poursuit sa « suite européenne » initiée avec La Ligne des glaces (Rivages, 2014) et explore la géographie du Vieux Continent pour mieux révéler toutes les fictions qui nous constituent.
Extrait du prologue intitulé « Quitter Paris » :
« Le plus dur, c’est de trouver le bon rythme, disait Vlad, si tu ne trouves pas d’emblée ton propre rythme, c’est fichu, tu chopes un point de côté, tu te mets dans le rouge, il faut savoir doser, ne pas se griller d’avance, mouliner sans forcer, en garder sous la pédale comme on dit – j’écris sous sa dictée, j’essaie de retrouver le tempo de son phrasé, le grain de sa voix, le tranchant de son accent, sa façon si particulière de rouler les r, il m’avait dit ça, une nuit, à Paris, alors que nous avions les flics aux trousses, je le revois pédalant à mes côtés, haletant à mes côtés, je revois sa manière unique de tenir son guidon, d’empoigner le taureau par les cornes, mains fermement agrippées aux cocottes de frein, dos cambré, buste jeté en avant, cou rentré dans les épaules, j’aurais pu le reconnaître de loin, il nous arrivait de nous croiser par hasard du temps où il vivait dans un squat à Pantin et moi dans un ancien bordel au métro Danube – un jour, je m’en souviens, c’était en avril, un des premiers soirs qui voient s’égayer la ville, je sors d’un bar un peu éméché, je vais décrocher mon vélo, j’aperçois un type aux cheveux blonds noués en catogan qui dodeline des épaules en grimpant la rue de Ménilmontant, je me dis ça doit être lui, c’est bien son style à lui, j’enfourche ma monture, je me dresse sur mes étriers, j’attaque la pente en danseuse, lui est déjà loin, loin, loin – je le vois filer comme si les feux, les néons, les enseignes, les réverbères, toutes les lumières de la capitale le halaient vers le ciel aimanté ; sous son barda de coursier, sa veste noire flotte dans son dos, et lorsqu’il dévale les rues de Belleville on entend claquer les pans de cuir, flap flap flap, petites ailes de corbeau ivre de traverser la ville ainsi, sur le fil de fer de son seul désir – tout est une question de rythme, disait Vlad, pas seulement de souffle mais de tempo, pas tant de vitesse mais de pulsation, les cuisses et les poumons ne suffisent pas : ce qui compte, c’est le cœur… »
La presse en parle :
« L’Europe à vélo –
Deux amis à vélo pédalent d’Odessa à Strasbourg pendant quarante-huit jours : 4 000 kilomètres de vent, de paysages, de rencontres et de moustiques – mais aussi de frontières et de douanes, de longitudes et de latitudes, de toponymes et d’idiomes divers et mêlés. Une remontée de l’Europe à contre-courant, à « rebrousse-poil », d’Orient en Occident, « pour échapper à [la] mer inéluctable ».
Dans l’épilogue de Sur la route du Danube, Emmanuel Ruben, né en 1980, avoue une triple passion : pour le Danube, pour le vélo et « pour l’histoire d’un vieux continent, l’Europe, l’homme malade de la planète ». Et de fait, s’il est beaucoup d’autres sujets et d’autres visions qui surgissent au fil de l’eau et de la route, l’Europe, politique, historique et culturelle, s’affirme bel et bien comme la destination ultime de cette suite de courts chapitres en mouvement, sa direction, son nord magnétique.
La leçon du livre s’affirme plus complexe, cependant, que de simplement « pédaler à contre-courant de cette Europe que des commissaires nous tricotent dans leurs palais de cristal sans rien nous demander », comme Emmanuel Ruben l’écrit par ailleurs. Ce serait oublier l’eau, l’effort renouvelé d’une centaine de kilomètres quotidiens, et la musique. Celle de la langue qui se coule dans les impromptus du paysage et des conversations de hasard, qui épouse la rumeur du vent et sèche au soleil. Dans ses illuminations d’écrivain cycliste, dans son emportement de géographe, dans son lyrisme d’enfant des bords du Rhône remontant, têtu, un autre fleuve, Sur la route du Danube atteint une forme de perfection rare. Il s’avale comme la route, le rythme est éternel. » Nils C. Ahl, Le Monde du 14 mars 2019.