Samedi 4 mai 2019 à 17 h, à l’Espace culturel de Barbaira (11800), rencontre avec la romancière Emmanuelle Pagano,
à l’occasion de la parution de son livre Serez-vous des nôtres ? (éditions P.O.L., août 2018),
Conversation-lecture-débat
Entrée libre et gratuite
Emmanuelle Pagano, née en 1969, est une écrivaine française. Elle a fait des études en esthétique du cinéma. Agrégée d’arts plastiques, elle vit et travaille sur le plateau ardéchois. Elle est l’auteure d’une douzaine de livres, romans, récits, nouvelles, majoritairement parus chez POL, et une multitude de textes publiés sous forme de revues et d’ouvrages collectifs. Ses livres sont traduits dans une dizaine de langues. Son dernier livre, Serez-vous des nôtres ? , est paru en août 2018 ; c’est le troisième et dernier volume de la Trilogie des rives, qui interroge la relation de l’eau et de l’homme, du naturel et du bâti, la violence des flux et celle des rives qui les contraignent.
Elle a été pensionnaire de la Villa Médicis (avril 2013/septembre 2014).
BIBLIOGRAPHIE
Romans, récits, nouvelles…
Pour être chez moi, sous le pseudonyme d’Emma Schaak, Éd. du Rouergue, 2002, récit
Pas devant les gens, La Martinière, 2004, roman
Le Tiroir à cheveux, P.O.L., 2005, roman
Les Adolescents troglodytes, P.O.L., 2007, roman
Les Mains gamines, P.O.L., 2008, roman
L’Absence d’oiseaux d’eau, P.O.L., 2010, roman
Nouons-nous, P.O.L., 2013, roman
En cheveux, Éd. Invenit, 2014, récit
La Trilogie des rives 1, Lignes & Fils, P.O.L, 2015
La Trilogie des rives 2, Saufs riverains, P.O.L., 2017
La Trilogie des rives 3, Serez-vous des nôtres ?, 2018.
À PROPOS DE SEREZ-VOUS DES NÔTRES ?
Serez-vous des nôtres ? est la troisième partie, après Ligne & Fils et Saufs Riverains, d’une « Trilogie des rives » interrogeant la relation de l’eau et de l’homme, la violence des flux et celle des rives qui les contraignent.
Cette magnifique enquête romanesque sur le paysage des eaux raconte une amitié hors norme entre deux hommes issus de milieux sociaux opposés, mais riverains. À l’origine, seul un grand étang les sépare et les lie. Dans cette région, tous les liens sociaux dépendent de ces retenues d’eau, les étangs, qui mouillent tout le paysage. Jonathan Bonnefonds, peintre raté ou peintre gâché, est l’héritier de la famille propriétaire du domaine, David Gareau est fils du paysan voisin. Leur amitié s’est diluée dans le temps et l’espace. Jonathan est resté au pays, David, lui, s’est engagé dans la Marine, écoutant les sons de la mer à bord de sous-marins nucléaires : personne ne sait où il se trouve. Tout le livre se déroule sur une seule journée, le vingt-huit octobre, journée de la pêche de la Caspienne et de la remontée du sous-marin, pendant la dernière mission de David. C’est un jour propice aux souvenirs : David et Jonathan se remémorent leur enfance et leur adolescence communes, et par elles toute cette société construite autour des liens de l’eau. On y trouve des légendes, des conflits d’usage et de territoires, mais aussi des conflits géopolitiques, des gens de la terre, des gens de l’eau, des chasseurs, des pêcheurs, des paysans, des propriétaires, des nuisibles, des naturalistes, des écologistes, des rumeurs, des histoires d’amour et de famille. Et toute la faune et la flore de ce paysage particulier, et toute sa lumière démultipliée par les étangs. Et l’obscurité des forêts comme celle des histoires humaines.
SEREZ-VOUS DES NÔTRES ? LA PRESSE EN PARLE
Marine Landrot, Télérama, août 2018
D’une écriture opaque et suffocante, ce dernier opus de la Trilogie des rives explore la relation entre les mondes aquatique et humain.
Serez-vous des nôtres ? interroge ce troisième volet de la Trilogie des rives. Invitation presque timide, à la fois accueillante et pleine de doutes, la question accepte la possibilité d’un refus, comme si Emmanuelle Pagano avait conscience que le voyage qu’elle propose n’est pas des plus faciles, et implique un effort. L’expédition est en effet subaquatique, et nécessite de
pratiquer la nage en apnée par presque cinq cents pages de profondeur, dans un étang sans couleur, gouffre caméléon qui avale les arcs-en-ciel pour recracher des grenouilles ou des alevins, aboutissement de siècles de boues et de glissements de terrain mobilisant les riverains jusqu’à plus soif.
Tout l’art d’Emmanuelle Pagano réside dans cette écriture opaque, suffocante, au bord de la noyade, comme un long cri de détresse asphyxié, qui soudain se réfugie dans des poches d’oxygène, s’en repaît, avant de repartir dans les abysses oppressants. En fusion avec l’élément marécageux, le roman s’en remet entièrement à la force de l’eau, souveraine malgré les dangers écologiques qui la guettent. La parole est à l’élément liquide pendant des pages entières, d’une beauté saisissante, comme chantées depuis des temps immémoriaux, bien avant l’apparition de l’homme sur la planète. Le style aride des phrases, volontairement sourd aux débordements émotionnels des personnages, exprime à merveille l’assèchement progressif des terres, et la vengeance du monde aquatique sur les humains, exsangues eux aussi. Ceux qui tentent de lui échapper se voient vidés de leur substance, incapables de vivre, comme ce peintre qui se désespère de ne jamais réussir à capter la lumière du ciel, et de ne produire que des tableaux ternes. Rattrapé par son destin, le seul qui a fui la région travaille dans un sous-marin, et reçoit lui aussi les mauvaises ondes de l’étang originel. Pourtant, ces familles infiltrées par la « peur mouillée, physique, brouillant les tripes et souillant les habits » réussissent à faire entendre en sourdine leur voix intérieure. Alors l’immersion dans ce livre exigeant, unique, ressemble à une opération de sauvetage de ces êtres en perdition.
Jeanne Bacharach, revue En attendant Nadeau, septembre 2018
La langue de l’eau
Emmanuelle Pagano termine son exploration des rives par celles de l’Atlantique et d’un étang nommé Caspienne. Aux manettes d’un sous-marin, David Gareau entame une ultime remontée à la surface de l’océan, pendant qu’un pêcheur nommé Jonathan Bonnefonds observe la lente vidange de l’étang. Ces deux mouvements aquatiques simultanés concluent une trilogie romanesque et poétique où les paysages et le langage d’eau résonnent dans la vie des hommes et des femmes qui les façonnent.
Depuis le premier tome de cette formidable Trilogie des rives, Ligne & Fils (2015), où l’on suivait le long de deux rivières l’histoire d’une lignée ardéchoise liée au travail de la soie, jusqu’à Serez-vous des nôtres ? en passant par Saufs riverains (2017), Emmanuelle Pagano, à la manière d’une archéologue des océans, des étangs et des rivières, exhume de l’eau les itinéraires d’hommes et de femmes, les souvenirs et les secrets de famille. […]
Serez-vous des nôtres ? n’est pourtant pas que le reflet superficiel d’une mouvement aquatique. La picturalité de ce roman de l’eau s’incarne dans un travail romanesque et psychologique, dont l’amitié fusionnelle et perdue entre Jonathan Bonnefonds et David Gareau constitue le nœud central. Les deux hommes, originaires de l’étang Caspienne près duquel Jonathan Bonnefonds a décidé de rester, à l’inverse de son ami David, sont liés par leurs familles à ces marécages, ces paysages d’eau plane et poissonneuse. Emmanuelle Pagano écrit la force du lien au paysage qui les rattrape sans cesse ; elle fait de cette « Caspienne » l’un des plus beaux espaces du livre […]
Emmanuelle Pagano, qui rend hommage à Gaston Bachelard et à L’Eau et les rêves, explore particulièrement dans Serez-vous des nôtres ? la richesse métaphorique de l’eau. L’un des plus beaux passages du roman évoque ces contes et ces mondes merveilleux abrités par les étangs, alors transformés en des espaces oniriques et poétiques. Les feux follets se font lutins invisibles, fées, esprits : « Le mouvement de leur pas créait des turbulences dans l’air, nourrissant les génies aquatiques auxquels ils n’osaient pas parler. » Emmanuelle Pagano fait de l’eau un espace ouvert aux métamorphoses, et crée une atmosphère de rêve d’une grande richesse.
Cette évocation des légendes enfouies sous les étangs souligne encore davantage le lien entre les hommes et leurs paysages. […]
Entre l’océan Atlantique qui résonne comme la chambre d’écho des étangs, et la Caspienne, Emmanuelle Pagano invente une langue d’eau et de rêve. Celle-ci représente peut-être le lien le plus fort entre cette terre et ces hommes. C’est ce langage qui les rassemble, dans un même corps sensible, musical et pictural, où les histoires naissent, et où cette trilogie, unique en son genre, s’origine : « bouige, bloute, brésil, coulée, courante, écrémé, égout, embreuvé, évière, saignée, marnière, réessuyé, vaisère, vidange. Les paysages eux-mêmes semblaient nés de tous ces mots aux consonances liquides, à moins que ce ne soit l’inverse. »
Xavier Houssin, Le Monde, 11 octobre 2018
Eaux lustrales d’Emmanuelle Pagano
D’un étang de l’Indre aux fonds de l’Atlantique, c’est la même eau qui baigne les amis d’enfance Serez-vous des nôtres ? et clôt « La Trilogie des confins ».
La brume s’efface de l’étang aux soleils plats des jours d’automne. Sans qu’on sache bien si elle remonte au ciel s’accrocher aux nuages ou si elle s’enfonce et se dilue dans l’épaisseur dormante. C’est peut-être juste une haleine, une respiration de surface. L’eau vit ici. Elle n’est pas seulement habitée, peuplée de poissons, de batraciens, de reptiles, d’insectes, d’oiseaux. Sous les roselières, les herbiers, elle bat d’une pulsation régulière que trahissent les vagues lentes qui finissent en clapots sur les berges. L’eau est un monde en soi. Elle a façonné le paysage. Et elle l’a absorbé aussi, avalant les reflets, la lumière et les ombres. Nous sommes en Brenne, cette terre de marais endigués, entre la Claise et la Creuse, dans le département de l’Indre.
Emmanuelle Pagano en a fait le décor de son nouveau roman, Serez-vous des nôtres ? Elle clôt avec lui sa Trilogie des rives, commencée avec Ligne & Fils et poursuivie par Sauf riverains (P.O.L, 2013 et 2015). Trois textes qui se bouclent sans se lier. Trois chemins séparés d’un étonnant pèlerinage aux sources où l’auteure se met en quête de la relation sensible que nous entretenons avec l’eau. Celle qui s’échappe, qui déborde. Celle qui stagne, s’épaissit. La douce, la salée, la saumâtre. Une eau qui charrie notre mémoire, nos espoirs, nos doutes. Et où l’on s’engloutit.