Nous lirons quelques pages de ce monstre littéraire. Nous réfléchirons sur les mathématiques, la poésie, le permanent et l’éphémère, à travers quelques aspects de ce que nous a laissé Alexandre Grothendieck. Nous projetterons une quarantaine de minutes du film Grothendieck, sur les routes d’un génie. Nous tenterons en deux heures d’aller vers l‘infini mathématique ou non. » (Yves Le Pestipon).
– Projection du film réalisé par Yves Le Pestipon (en collaboration avec Catherine Aïra) : Alexandre Grothendieck, sur les routes d’un génie (2013).
– Lecture d’extraits de l’ouvrage de Grothendieck, Récoltes et semailles (Gallimard, 2022).
– Exposé d’Yves Le Pestipon : « Mathématiques et poésie – le permanent et l’éphémère, chez Grothendieck ».
– Yves Le Pestipon est né en 1957. Il est poète, performer et théoricien de la littérature, cinéaste. Ancien élève de l’ENS (Saint-Cloud), agrégé des lettres, il a été professeur de Première Supérieure (Khâgne) à Toulouse. Il est notamment l’auteur d’une thèse sur les relations de pouvoir dans l’œuvre de La Fontaine et d’articles consacrés aux Fables, dont il a aussi établi une édition. Il est notamment l’auteur de la Préface de la nouvelle édition des Fables, qui vient de paraître à La Pléiade. Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles. Tenant de la poésie orale, il participe à de nombreux événements littéraires à Toulouse et dans sa région. En 2014, il publie Oublier la littérature ?, un essai tente d’explorer le paysage contemporain de la littérature, en revisitant d’abord l’histoire de cette notion. Par ailleurs, il a collaboré à plusieurs films documentaires, ainsi : une série Le Bestiaire des Pyrénées (France 3). Il est le co-auteur de ce film remarquable : Grothendieck, sur les routes d’un génie (K productions, 2013).
Bibliographie :
– Des lettres anonymes, Éd. Clapotements, 2011.
– Je plie mais ne romps pas, Essai de lecture ininterrompue du livre I des Fables de La Fontaine, Presse Universitaires de Rouen 2011.
– Fables de La Fontaine, édition critique par Yves Le Pestipon, (GF Flammarion, 2016 et 2017)
– Oublier la littérature ? (Éd. Rue des gestes, 2013).
– Les Fables de La Fontaine, Préface d’Yves LE Pestipon (La Pléiade, 2021).
Alexandre Grothendieck est un mathématicien français, né le 28 mars 1928 à Berlin et mort le 13 novembre 2014 à Saint-Lizier, près de Saint-Girons, en Ariège. Il est resté longtemps apatride tout en vivant principalement en France ; il obtient la nationalité française en 1971.
Il est considéré comme le refondateur de la géométrie algébrique et, à ce titre, comme l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il était connu pour son intuition extraordinaire et sa capacité de travail exceptionnelle. La médaille Fields lui a été décernée en 1966.
Pour respecter sa volonté d’effacement, on ne devrait même pas prononcer son nom ni parler de ses travaux. Alexandre Grothendieck a réussi l’exploit d’avoir été l’un des plus grands mathématiciens et d’être devenu le plus discret de tous.
Chercheur génial, écologiste radical au début des années 1970, ermite retiré du monde pendant 23 ans, il a eu trois ou quatre vies successives entre sa naissance, le 28 mars 1928 à Berlin, et sa mort, en 2014, quelque part dans l’Ariège. Le monde des mathématiques l’a découvert en 1958, au congrès mondial d’Edimbourg, où il présenta une refondation de la géométrie algébrique. La géométrie algébrique, ce sera sa grande œuvre, une sorte de cathédrale conceptuelle construite en collaboration avec deux autres mathématiciens, Jean Dieudonné et Jean-Pierre Serre. En quoi cela consiste-t-il ? Difficile de dire, mais en gros, si on trace un cercle avec un compas, on fait de la géométrie. Si on écrit x2 y2 = 1, c’est-à-dire l’équation d’un cercle, on devient un algébriste. La géométrie montre, l’algèbre démontre.
Grothendieck, lui, a voulu fonder une géométrie nouvelle à partir de deux concepts clé, les schémas et les topos. De 1950 à 1966, il fit des mathématiques, seulement des mathématiques. Mais un jour, il finit par découvrir la politique. En 1966, il refusa d’aller chercher sa médaille Fields à Moscou, où deux intellectuels venaient d’être condamnés à plusieurs années de camp pour avoir publié des textes en Occident sans autorisation. L’année suivante, il passa trois semaines au Vietnam pour protester contre la guerre lancée par les États-Unis. À partir de 1971, il consacra l’essentiel de son temps à l’écologie radicale à travers un groupe qui avait été fondé par un autre mathématicien, le groupe « Survivre et vivre ». En août 1991, il choisit de disparaître dans un village tenu secret après avoir confié 20 000 pages de notes à l’un de ses anciens élèves.
Le nom d’Alexandre Grothendieck sonne un peu comme la promotion de l’évanescence dans l’ontologie radicale. Car sa disparition donne à croire qu’elle le résume et le raconte davantage que tout le reste. Le choix qu’il a fait de s’évader rétro-projette son ombre sur tous les événements antérieurs de sa vie. Comme s’il n’avait jamais eu d’autre intention que celle d’échapper un jour au commerce des hommes. Mais raisonner ainsi serait injuste, car ce serait oublier l’homme, ses vies et son œuvre, qui est monumentale et demeure en partie inexplorée.
À propos de Récoltes et Semailles, Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien, de Alexandre Grothendieck, deux tomes, 1932 pages, collection Tel-F-Gallimard, 29,50 euros :
Article du Figaro, du 7 février 2022 : « Le manuscrit fou de l’écrivain mathématicien Alexandre Grothendieck enfin publié ».
« Les éditions Gallimard viennent de faire paraître Récoltes et Semailles, où « Shourik » entremêle réflexions sur les maths et leur poésie, sur l’écologie et méditations spirituelles.
Un livre hors norme, à l’image de son génie et de sa vie: Récoltes et Semailles, œuvre posthume du mathématicien Alexandre Grothendieck, a enfin vu le jour chez Gallimard, au terme d’une folle épopée. «Je ne lis pas, j’écris», disait ce scientifique considéré comme l’un des plus grands, sinon le plus grand mathématicien du XXe siècle, qui révolutionna la géométrie comme Albert Einstein la physique.
Disparu en 2014 à 86 ans, le géant des maths, qui a fini en ermite, a passé sa vie à coucher ses pensées sur papier. Des dizaines de milliers de pages, notes mathématiques et littéraires, aussi foisonnantes que son histoire est singulière.
Né en 1928 à Berlin d’un père juif russe et d’une mère allemande, Alexandre Grothendieck fut confié à une famille protestante en France lorsque ses parents, militants anarchistes, s’engagèrent dans la guerre d’Espagne. En 1940, le jeune apatride (il le restera jusqu’en 1971) est interné avec sa mère dans un camp en Lozère. Son père meurt à Auschwitz. Il passe son bac au lycée cévenol du Chambon-sur-Lignon, où il est remarqué.Vivement recommandé, l’étudiant part suivre les meilleurs cours à Paris puis Nancy où un professeur lui soumet quatorze problèmes encore sans solution. Six mois après, à la stupéfaction générale, Grothendieck les a tous résolus – l’équivalent de six thèses. Il passe douze ans à enseigner à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES), où ses séminaires de géométrie algébrique deviennent légendaires, et se voit couronné en 1966 par la médaille Fields, le «Nobel» des maths.
Mais dès les années 1970, Alexandre Grothendieck quitte la haute sphère mathématique, abandonne la recherche. Pacifiste, écologiste, il ne supporte pas l’idée que les sciences fondamentales puissent servir à fabriquer des armes et détruire la planète. Il fonde Survivre et vivre, mouvement d’écologie radicale. Son militantisme lui vaut la suppression de sa chaire au Collège de France.
Récoltes et Semailles voit le jour entre 1983 et 1986, alors qu’il enseigne à l’Université de Montpellier. Un « monstre », disait-il, de 1500 pages, une « tresse » entremêlant réflexions sur les maths et leur poésie, l’écologie, des méditations spirituelles… et des critiques acerbes contre ses élèves qui auraient trahi son idéal. Le texte s’apparente à une «promenade» dans l’intimité de sa pensée. Sans filtre, dans un style clair que le génie veut adresser aussi aux profanes.
Alexandre Grothendieck en envoie 150 exemplaires à ses connaissances. Les tirages circulent dans le milieu, puis des versions sont mises en ligne. Il en rédige une ultime, qu’il veut cette fois révéler au grand public. Il en confie la mission au journaliste scientifique et philosophe des sciences Stéphane Deligeorges. «Nous avions rendez-vous place Saint-Sulpice à Paris, il faisait froid. Shourik – “son surnom” – est arrivé en sandales, pieds nus, son tapuscrit sous le bras. Il m’a fait promettre de le publier», raconte-t-il à l’AFP. «C’était sans équivalent, même chez les mathématiciens. Shourik écrivait ce qu’il avait en tête sans calculer son public. Il était habité, possédait un cortex différent, une puissance de travail démentielle. C’était un écorché vif, je le respectais immensément», s’émeut-il.
Son propre éditeur, Christian Bourgois, s’y intéresse, puis renonce. Le projet capote encore chez un autre. Trop gros, et sans doute aussi diffamant au vu de la «violence des attaques» contre ses élèves dont certains ont reçu la médaille Fields, se souvient Jean-Pierre Bourguignon, qui dirigea l’IHES. Stéphane Deligeorges s’accroche. Se désespère un peu lorsque en 2010, Grothendieck, alors reclus en Ariège, change d’avis et s’oppose à toute publication de son vivant. L’interdiction est levée après sa mort en 2014, et le journaliste convainc enfin Gallimard en arguant de l’importance de ce «patrimoine».
Jugé suffisamment littéraire, Récoltes et Semailles a demandé un travail d’édition colossal, «le plus complexe de mes 18 ans de carrière», témoigne l’éditrice, Sophie Kucoyanis. Paru en deux tomes en janvier et tiré à 5000 exemplaires, le livre connaît un bon démarrage. «Il y avait une vraie attente des libraires», s’enthousiasme-t-elle. Les demandes de traductions arrivent.
Certes «80% du texte» s’adresse aux forts en maths, mais «20% sont lisibles par tous», selon cette non-scientifique. Qui a été «touchée» par les passages sur l’«émerveillement de la création» que l’auteur compare à l’enfance. «Grothendieck a pensé les maths qui s’écrivent, montrant que ce ne sont pas des formules mais de la création de concepts, et que plus on monte en abstraction, plus on arrive à surmonter les difficultés», ajoute Jean-Pierre Bourguignon.
L’histoire ne s’arrête pas là. À son décès, plus de 70.000 pages manuscrites ont été récupérées dans sa maison d’Ariège où il s’était muré dans le silence. Ses cinq enfants les ont déposées chez un libraire parisien, qui espère les vendre à prix d’or. Dans une écriture patte de mouche, on y trouve cet émouvant carnet retraçant les convois de juifs déportés. Le reste? Des notes «sur tout», souvent «délirantes», témoigne le libraire Jean-Bernard Gillot. Le travail d’archivage s’annonce immense et pourrait, peut-être, dénicher un trésor. »