SAMEDI 14 OCTOBRE 2023, À 17 H, À BARBAIRA (11800),
Espace culturel, au centre-bourg, place du 14 juillet
RENCONTRE AVEC ÉRIC CHAUVIER, écrivain, auteur de récits sur la fin d’une époque, décrivant les ruptures et les anomalies dans la vie ordinaire.
Autour de ses derniers livres, parus aux éditions Allia : Plexiglas mon amour (2021), Laura (2020), La Crise commence où finit le langage (2020).
Éric Chauvier (né en 1971 à Saint-Yrieix-la-Perche dans la région Limousin en France) est un anthropologue et romancier français.
Docteur en anthropologie, habilité à diriger les recherches, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, directeur avec Bernard Traimond de la collection Des mondes ordinaires chez l’éditeur Le Bord de l’eau, Éric Chauvier contribue depuis plus de dix ans au renouvellement de l’anthropologie en élargissant les espaces qu’elle s’attribuait, les façons de l’écrire et le public à qui elle se destine.
Ainsi, son ouvrage « Anthropologie » (2006), compte rendu d’une enquête comme tous ses livres, a souvent été lu comme une fiction. Il proposait ainsi de nouvelles formes d’écriture qui échappent à la monographie ou au traité. De plus, il a défini des instruments d’analyse fondés sur les anomalies, ruptures langagières de la communication, failles dans l’ordinaire. Enfin, ses enquêtes portent sur les aspects les plus banals de la vie quotidienne : relations familiales, rencontres, risque industriel… Dans les situations les plus habituelles, il porte son attention sur les anomalies, surgissement du réel dans la communication, dans le langage ordinaire, dans le conditionnement qu’établissent les mots.
Cette définition de l’ordinaire, qui provient du philosophe américain Stanley Cavell, permet d’utiliser dans l’étude des paroles et des discours, la pragmatique du langage telle que l’ont conçue en leur temps Wittgenstein et Austin. Cette anthropologie pose donc le langage comme l’inéluctable médiation dans l’accès à la connaissance du réel.
Dans son ouvrage « Les mots sans les choses » (2014) il analyse l’influence négative de la place grandissante de mots issus de discours savants dans les conversations ordinaires. Il y décèle une perte de contact avec notre quotidien.
Œuvres :
Fiction familiale, approche anthropolinguistique de l’ordinaire d’une famille, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, Études culturelles, 2003.
Profession anthropologue, Bordeaux, William Blake and C°, 2004.
Anthropologie, Paris, Allia, 2006.
Si l’enfant ne réagit pas, Paris, Allia, 2008
Que du bonheur, Paris, Allia, 2009
La crise commence où finit le langage, Paris, Allia, 2009
Contre Télérama, Paris, Allia, 2011
Anthropologie de l’ordinaire. Une conversion du regard, Toulouse, Anacharsis, 2011.
Somaland, Allia, 2012.
Les mots sans les choses, Allia, 2014.
Les nouvelles métropoles du désir, Allia, 2016.
La rocade bordelaise. Une exploration anthropologique, Le Bord de l’Eau, 2016.
La petite ville, Editions Amsterdam, 2017
Le revenant, Allia, 2018.
Laura, Paris, Allia, 2020
Plexiglas mon amour, Allia, 2021.
Plexiglas mon amour (éditions Allia, 2021)
La fin d’une époque – les conditions du vrai – L’enjeu des affrontements
“Tout en parlant, Kevin caresse de façon machinale l’anse de son mug, formée de deux cercles de taille inégale. Soudain, ce que je redoute de façon confuse se produit : son annulaire se coince dans le cercle le plus étroit. Je pense d’abord qu’il agit de façon intentionnelle, mais ce n’est pas le cas. Son doigt est bel bien coincé. Il continue cependant de dispenser ses conseils comme si de rien n’était : oui, répète-t-il, il me faudra éviter les fluctuations émotionnelles, et surtout garder le contrôle, pour conserver mon acuité. Il tente d’extirper son doigt de l’anse, mais en vain. Il contrôle alternativement ce qu’il dit – pour lui conserver de l’autorité – et son geste – afin qu’il demeure discret. Lorsque des événements minuscules, mais dotés d’une charge d’absurdité suffisante, contrecarrent les projets les plus notables, ils prennent immanquablement le pas sur eux.”
Le moral d’Éric n’est pas au beau fixe. Sa femme, proie d’angoisses, lui impose une quatorzaine drastique. Lorsqu’il rencontre par hasard Kevin, ami de jeunesse perdu de vue, c’est l’occasion rêvée pour s’échapper de cette dictature sanitaire domestique.
Kevin est devenu survivaliste. Il voue désormais son existence à se préparer à une fin du monde imminente. Devant l’intérêt manifesté par Éric, il l’invite à lui rendre visite dans sa B.A.D. (base autonome durable) pour l’initier. Éric est taraudé par une question : qu’est-ce qui le sépare de Kevin ? C’est par l’analyse de son langage qu’Éric Chauvier dissèque les impasses du survivalisme. Pourtant, Éric se laisse prendre au jeu. Il apprend à chasser, à fabriquer un arc, écoute patiemment les conseils et théories de Kevin, des plus sensées aux plus absurdes : rejet de la vie urbaine, effondrement… et cannibalisme.
Peu à peu, la distance se réduit. Jusqu’à ce que tout tourne mal. Sombre dystopie ? À peine. Satire hilarante d’un présent définitivement malade ? Assurément.
Laura (éd. Allia, 2020)
La fin d’une époque – les conditions du vrai
L’enjeu des affrontements
‘‘Qu’est-ce que je fais là avec Laura, en pleine nuit, devant l’usine du père de ‘l’Héritier’, une fabrique de prothèses médicales remplie de solvants en tout genre ? ‘J’ai rien à perdre, c’est ce qu’elle m’a dit tout à l’heure, parce que je suis dans la clandestinité maintenant, tu comprends ?’ Elle n’a que ça en tête : tout faire brûler. Comment peut-elle dire ça alors que tout est déjà réduit en cendres autour d’elle ?’’
Tout semble opposer Éric et Laura. Si la réussite sociale de celui-ci n’a pas tenu toutes ses promesses, la déchéance de Laura est totale, aussi bien sur le plan amoureux que professionnel. Près de trente ans après leur première rencontre, les deux personnages se retrouvent sur un parking, buvant du rosé et fumant des joints, au fil d’un dialogue décousu.
Cette nuit-là, tout le passé d’Éric lié à la mémoire de Laura resurgit : la fascination obsessionnelle pour sa beauté, un souvenir d’elle adolescente en bikini rouge et la douleur perpétuelle d’une distance jamais surmontée… Qu’il s’agisse de leur milieu d’origine, de leur langage ou de leurs références culturelles : tout prouve qu’ils n’appartiennent plus au même monde. Pourtant Éric est là, et ne ressent que plus de désir à son égard. Pour ne pas passer pour un homme cultivé et méprisant, chaque mot doit être pesé, apprécié selon l’écart social qu’il pourrait signifier et les blessures qu’il pourrait raviver.
En dépit de la colère ressentie face à l’impossibilité de communiquer et la douleur de ne pouvoir aimer, Éric tâche pourtant d’interroger ce qui les sépare. À travers le récit d’un amour non advenu, l’anthropologue s’efforce de raconter autrement les fractures qui divisent la France d’aujourd’hui.
La Crise commence où finit le langage (Allia, 2020).
À travers La Crise commence où finit le langage, Éric Chauvier tente de saisir les raisons de l’essor de la « crise » qui, plus qu’un mal de notre temps, apparaît comme le nouveau mode de désignation de la catastrophe auquel sembleraient vouées l’Histoire et l’espèce humaine.Loin de consentir à un tel fatalisme, l’auteur entreprend de mettre à jour ce qui se cache derrière le mot « crise » dans la mesure où ce terme semble avant tout être agité comme un paravent voué à décourager toute tentative de compréhension du phénomène qu’il recouvre. Prenant à rebours la logique médiatique qui appréhende le phénomène à « un degré hollywoodien », Éric Chauvier choisit, à partir d’une focale microsociologique, de soutirer d’un fait banal de la vie quotidienne l’élément révélateur du fonctionnement d’un système.Prenant ses racines dans le langage, c’est à une crise de la culture que nous sommes confrontés. En affirmant que « l’accès à la raison anthropologique de la crise n’est pas la chasse gardée d’une élite de spécialistes », Éric Chauvier contribue, par l’intermédiaire de cet ouvrage, à alerter ses contemporains sur la nécessité impérieuse de se réapproprier le langage.